Ce que l'on retient lorsqu'on regarde les illustrations (dessins accompagnés d'un texte), des Bandes Dessinées et des caricatures des femmes camerounaises ou dessinées par des camerounais.e.s, ce sont certaines caractéristiques qui reviennent systématiquement : l'accent mis sur son physique, son hypersexualisation, son objectification, son infantilisation, sa bêtise, son incapacité à prendre des décisions réfléchies, les qualificatifs animaliers "panthère", « lionne » ou végétaux « lianes » « piment ». Dans l'histoire ou la scène, on lui réserve le rôle de soutient, d'acolyte et de complément d'un homme… et ça, c'est lorsque le dessinateur, et dans de rares cas la dessinatrice, a même pensé à la faire exister. En bref, elles sont des bouffeuses d'hommes, vénales, en colère et/ou agressives. Autant dire que le test de Bechdel (je vous laisse googeliser) est échoué en grande pompe, et c'est fatiguant de voir dessinés toujours les mêmes rôles féminins.
Quasiment tout l'humour illustré et caricaturé camerounais met en scène la femme camerounaise, noire et africaine en la tournant en dérision ou en lui donnant un mauvais rôle, car limité dans sa représentation.
Il suffit de voir la tonne d'images soit-disant destinées à faire rire qui circulent sur les réseaux sociaux. Je ne montrerai pas d'exemples précis car vous les avez tou.te.s en tête. La femme camerounaise dessinée est enfermée dans un manichéisme réducteur.
Elle est presque toujours créée sous les traits d'un homme et navigue globalement entre trois représentations : "la religieuse", "la prostituée" et la "mère".
Les entre-deux n'existent pas. On dit vouloir lui apprendre à respecter son corps, être pieuse, être mère et en plus on veut juste pouvoir la mettre dans son lit, et c'est tout. La vêtir, ou la dévêtir selon son l'humeur du dessinateur, et rarement, on lui permet de penser par elle-même. Quand elle s'exprime, ses pensées sont axées sur l'argent d'un homme, le sexe (relatif uniquement au plaisir de l'homme), faire à manger, le mariage, les enfants.
Les personnages féminins qui ont un travail, créent ou mènent une activité lucrative sont peu nombreux.
Il en est de même pour celles qui rapportent de l'argent dans le couple. Les mères aux courbes rondes, aux seins tombants, qui tiennent leurs marmots dans des pagnes ne sont jamais l'objet de désir de leur époux, mais souvent de moquerie. Les femmes handicapées n'existent pas. Dans les couples, même quand l'homme a un teint foncé, la femme se doit d'avoir un teint plus clair que lui. Et de ce fait, les femmes à la peau claires sont toujours plus et mieux représentées que les noires, et prennent tous les rôles positifs. Quand on aborde la question de l'adolescente, à part ses règles et avoir un copain elles n'ont pas d'autre but dans la vie. Pour finir, la petite fille est quasiment fétichisée, toujours sans l'ombre d'un rêve d'un métier et incapable de se projeter dans le futur, car on tient à la garder éternellement pure, enfant et immaculée.
Si nos reproduisons notre environnement, sont-ce vraiment les seules représentations que nous avons des femmes camerounaises et africaines ?
Je ne vais pas citer toutes les œuvres qui m'ont énervée ou déçue en tant que lectrice et auteure de BD, je ne citerai que celles que j'ai vraiment apprécié et qui m'ont agréablement surprise. Il s'agit des personnages suivants :
- Ebène Duta de La vie d'Ebène Duta de l'auteure Elyon's dont voici une planche en lien. Personnage principal de sa BD, Ebène est un personnage féminin complexe : elle a une vie d'étudiante, elle est confrontée au fait de quitter son pays natal, elle explore sa sexualité, elle est curieuse, elle prend soin de ses amitiés, elle a une vie amoureuse, et tellement d'autres niveaux d'analyse...
- Catherine Mebenga de la BD Mebenga Essamba. Bien que ce soit elle qui raconte les péripéties de son mari Essamba à travers le blog qu'elle tient, Catherine reste le personnage secondaire de la BD. Elle s'informe de l'actualité, donne son opinion sur les situations qui se présentent à eux et dans leur couple et surtout, elle prend des décisions. Catherine est loin d'être le faire valoir qui ne sert à rien et j'espère vraiment qu'on en saura plus sur son personnage dans les tomes à venir.
- Aliya de Zebra Comics. Aliya travaille dans une entreprise tout en haut d'un building super chic, et est une femme financièrement indépendante et qui a du répondant face aux hommes qu'elle rencontre. L'accent est mis sur sa construction sociale dans le premier chapitre de ce comics, mais sachant qu'il s'agit d'une histoire de superhéroïne et du genre science-fiction, on sait que des pouvoirs se révéleront et qu'on assistera au développement de ce personnage dans les prochains épisodes.
- Victoria et Dina Pamen de Melissa die Krankenshwester de Blacktrek. Malgré la lecture un peu difficile de ce premier chapitre, Victoria et Dina Pamen sont mère (professeure) et fille (élève) qui se rendent au lycée un matin et sont confrontées à une situation horrifiante. Durant toute cette première partie on découvre deux personnages féminins actrices de leur vie.
Voilà, il faut saisir la nuance, il ne s'agit pas de ne dessiner que des working girls, ou seulement des femmes indépendantes, mais de réfléchir et oser des représentations, diverses et variées des femmes, en écho à ce qu'offre réellement la société comme éventail de possibilités. Une mère peut aussi travailler. Une femme, même très présente pour son époux peut avoir d'autres priorités dans la vie. Une femme peut ne pas vouloir être mère, peut ne pas vouloir se marier. Une fille peut faire autre chose en plus qu'être écolière. Trouvez des représentations qui sortent des clichés, même si vous vous inspirez de situations ordinaires, sachez que personne n'a qu'une seule dimension, et vos personnages doivent refléter la complexité de l'humain.
Je déplore qu'il n'y ait pas d'avantage de BD/illustrations/dessins de genre (drame, horreur, science fiction, érotique) camerounaises à critiquer, et j'espère que ce sera bientôt le cas.
Je ne m'auto-critiquerai pas avec ma BD
. J'y ai inséré mes réflexions sur la représentation de la femme et de la fille noire et c'est aux lecteurs et lectrices de me dire si j'y suis parvenue ou pas et ce qu'ils souhaiteraient voir se développer dans les personnages de Jéméa, Kima, Nyolo, la Nyanga Jengu, la ngoum Kwédi… etc .
Voilà, ceci était ma réflexion du jour.
Peace, Love and Fried plantains à tout le monde !
Cet article date du 04 mars 2018.
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